Dix ans d'anecdotes et d'évènements étranges à l'ombre du roman
EPISODE II
Imaginez qu’un jour, vous appreniez qu’un évènement
qui a eu lieu des années avant votre naissance impacte directement les choix
les plus importants de votre vie sans que vous puissiez les contrôler. Cela
paraît évidemment impossible pour qui aurait un semblant de raison et pourtant,
cette expérience, je l’ai vécue.
Je vais
vous raconter une histoire qui n’est écrite nulle part, une histoire sans
filtre dont le chapitre final nous mène vers la plus grande énigme de toute mon
aventure. Pour la comprendre, je dois vous expliquer comment est né IN
EMINENTI, une feuille blanche qui s’est transformée en une succession
d’évènements inexplicables.
En
décembre 2010, six mois avant la parution officielle du roman, le saut dans le
monde infini de la fiction me plongea dans une réalité que je ne parviendrais
jamais à expliquer. Des mystères, au Carla, vous en trouverez à chacun de vos
pas, sur chacune des pierres que vous caresserez, mais il y en a UN qui est
invisible à l’œil nu, le plus étrange de tous. Celui du 13 novembre 1978.
Tout
commença au mois d’août 2003. À la recherche d’un emploi saisonnier, j’avais
répondu sans trop d’entrain, à une annonce dans les champs de maïs de
l’exploitant Das Nieves. Cet homme, infiniment vaillant, possédait une immense
parcelle à Castelnau-de-Lévis, délimitée par un ruisseau qu'on appelait "Bigar". Dès le premier jour, déjà peu enthousiaste à l’idée de me
lever à six heures du matin en pleine vacances scolaires, je savais que la
journée n’allait pas être une partie de plaisir. Mon intuition allait vite se
confirmer. Les présentations furent brèves et une fois mon allée attribuée, je
me retrouvais expédié sans détour au milieu des interminables épis de verdure
sous une canicule historique. C'était le début de la vraie vie, mais surtout
celui d’une aventure remplie de surprises. Fini le confort et les rigolades du
fond de classe, les séances de sophrologie en cours de maths. L'espoir n'était
plus la sonnerie de la récréation, mais le bout de l'allée, celle qui arrivait
juste avant qu’une autre se présente. Concrètement, on me demandait de castrer
des tiges qu’on appelait panicules, sans que je n’aie eu le temps d'en comprendre le but. Dans ce tourbillon de dépit, sous une chaleur harassante, j’ai
pourtant réussi à me raccrocher à un élément complètement inattendu : UNE ÉGLISE.
De l’autre côté de ce fameux ruisseau, dissimulée derrière une barrière de
verdure, se trouvait la chapelle du Carla, désignée ainsi par un vieux panneau
rouillé, prêt à s’échouer dans un fossé.
Je me
souviens encore de l’attraction qu’elle dégageait, de cette sensation d’être
constamment aspiré, attiré, comme je l’aurai été par la lueur d’un objet
brillant se reflétant au loin. À chacun de mes pas, la force qu’elle exerçait
me fit aisément oublier l’ennui et la chaleur accablante. Pourtant, à cette
époque, je n’éprouvais aucun début d’attrait pour l’architecture, les symboles,
ou pour tout ce qui concernait ces histoires de religion. J’étais ce qu’on
pouvait appeler un « athée convaincu ». Mais chaque matin, dès que je
devinais sa silhouette se dessiner sur mon chemin, je me promettais d’y faire
un crochet avant de rentrer chez moi. Les jours se succédèrent et j’en arrivais
rapidement à un constat que je ne m'expliquais pas moi-même : elle me
fascinait ! Pourtant, après un mois dans les champs de Das Nieves, je me
suis défilé sans honorer ma promesse. Lâchement, j’ai terminé ma mission et j'ai
fui avec une impatiente indécence, pressé de retrouver mes centres d’intérêt: les copains, le rugby, les filles, les soirées étudiantes qui duraient trois
jours. J'avais 20 ans. Je n’imaginais pas un instant que c'est elle qui
reviendrait vers moi quelques années plus tard.
Les
premières lignes des « Mystères du Carla » ont été écrites au mois de
septembre 2009. À cette date, cela faisait exactement 800 ans que les troupes
de Simon de Montfort avaient déferlé sur le site du Carla pour y détruire le
village de Mazières. Mais tout cela, je ne le savais pas encore. Sur la route
du lycée, je suis passé pendant quatre ans devant la cathédrale d’Albi sans
jamais y jeter le moindre regard. Alors, comment vous dire, qu’entre Simon de Montfort et moi, ce n’était pas un fossé, mais un gouffre qui nous séparait.
Ma passion s’était révélée en m’expatriant dans au-delà de la frontière du sud
de la France (c’est-à-dire un peu au-delà du Cantal), dans ce pays où fourmille
le stress, les gaz d'échappement, et où l’on s’efforce de demander un
« pain au chocolat » pour éviter de se faire remarquer. C’est en
région parisienne que la passion pour mon pays natal s'est révélée.
IN EMINENTI est né à la terrasse d’un café albigeois devant une pinte de bière un soir de retour au bercail. C’était un titre puissant. Celui du livre que j’aurais voulu lire, celui d’une aventure qui se passerait dans les ruelles de mon enfance. Avant même que ne soit publiée l’enquête de mon héros Axel Clairvoix, la recherche historique dura deux ans. Je me souviens encore de cette éminente personnalité tarnaise qui m’avait conseillé d’abandonner le projet avant même de l’avoir débuté, convaincu que je ne dépasserais pas le cadre de la famille, des amis et dans le meilleur des cas, des cousins lointains les plus sympas. C’était exactement le genre de conseil qu’il fallait à mon égo pour le gonfler à bloc. La chance d’éditer me sourirait à coup sûr, à condition que je travaille sans relâche ! Et c’est exactement ce que j’ai fait. Mais il y avait un détail que je n’avais pas prévu : le retour de la chapelle du Carla.
C’est là que le hasard commença à montrer le bout de
son nez et me permit d’entamer mon ascension. Puisque la vie est une succession
de hasards, parait-il, c’est lui qui m’offrit une première belle rencontre: Casimir
Ferrer. À cette époque en effet, ce peintre sculpteur reconnu était sur le
point d’entreprendre la restauration totale du site, par le biais d’une
association qu’il venait de fonder. Abandonné à la ruine depuis près d’un
demi-siècle, ce lieu réunissait tout à coup deux hommes qui ne se seraient
jamais rencontrés dans d’autres circonstances. Ce phénomène porte un nom :
la synchronicité. Pendant les travaux, les bénévoles y avaient découvert une
fresque cachée, recouverte d’argile, au-dessus du vieil autel. Elle dissimulait
deux personnages, un homme et une femme, visiblement des nobles. Casimir Ferrer
voulait que l’on raconte une histoire à leur sujet. Ils allaient devenir
Mathilde et Jacques de Mazières, héros survivant du dernier village existant au
Carla et détruit pendant la fameuse croisade contre les cathares. Tout se mit
en marche à partir de cet élément et mon imagination allait devenir
incroyablement prolifique. Mon histoire débutait.
Mais qu’en était-il de la réalité ? Mazières n’avait pas vécu une seule destruction, mais plusieurs, à travers les siècles. Pourquoi une église et son cimetière demeuraient là, seuls, au milieu d’un immense pré ? La réponse, c’est un homme providentiel qui allait me les souffler, la rencontre qui a transformé mon champ de vision en une constellation de connaissances.
Raymond
Montercy, référence indiscutable au CNRS, allait m’ouvrir les yeux sur un monde
qui avait disparu de la surface du globe. C’était lui qui allait devenir mon
guide. Je le rencontrais pour la première fois dans une brasserie de la Grande
Armée, impressionné et décontenancé par le contraste entre sa réputation et la
modestie avec laquelle il m’accueillait. Jamais de ma vie je n’avais rencontré
un homme capable de transformer un labyrinthe en une échappée verte avec autant
d’aisance. Avec lui, tout semblait limpide, accessible, chaque information
était une pépite dissimulée dans un coffre doré. Raymond était un alchimiste.
Il me raconta d’abord que les fondations de l’église actuelle étaient des données
mesurées en décimales, mais si on les traduisait en pieds gaulois, elles
donnaient des nombres entiers. C’étaient des Gallo-Romains qui avaient choisi
ce lieu si mystérieux et plus exactement des Celtes. Il m’apprit également
qu’un des contreforts à l’extérieur de l’édifice avait été élevé dans le seul
but de signifier une référence solaire : parfaitement aligné au lever du
soleil, chaque 22 novembre, jour de Sainte-Cécile.
Raymond
Montercy m’apprit à lire l’invisible et mes yeux s’illuminèrent quand j’ai
compris que cet endroit dépassait la propre fiction de mon récit. Il y avait eu
ici, ce quelque chose de spécial que la mémoire avait occulté. Un jour, après
plusieurs semaines d’apprentissage, il se décida à élargir mon horizon. Raymond
se mit à dérouler une carte du Tarn et, armé d’un feutre noir, il traça une
ligne droite. Elle démarrait du Carla pour s’arrêter sur un point précis :
la grande cathédrale d’Albi. Les deux édifices se situaient sur le même
parallèle géographique et c’était une découverte aussi remarquable que
volontaire.
Mais la coïncidence ne ça ne s'arrêtait pas là. Sur cette même ligne, figuraient en tout, cinq
monuments tarnais, dont l’emplacement de l’ancien château de la puissante
famille Trencavel. Non, l’église du Carla n’était pas élevée là par hasard. Le
site avait été choisi au début de notre ère alors que la cité épiscopale n’existait
pas encore, et ils furent liés à un moment précis de l'Histoire. L’une
était devenue le chœur d’un puissant évêché, l’autre allait tomber dans l’oubli
le plus total.
Personne,
à part l’historien Jean Roques, qui l’avait qualifiée de
« pittoresque », n’avait daigné s’intéresser à ce lieu. C’était
méconnaître ce peuple celte, qui pendant des siècles, avait appliqué un adage
qui fait encore partie de notre paysage aujourd’hui: sans eau, il n’y a pas de
sacré; sans eau, pas de pierres levées, pas de menhirs, pas de temple non plus.
Ce détail semblait infime, et pourtant il résumait un fait qui était sans doute
à l’origine d’une grande partie de notre paysage rural : sans eau, il n’y
avait pas d’église ! L’autel était bâti à l’emplacement de courants
telluriques (électrique) puissants. Au Carla, ce sont six courants d’eau qui
ont été détectés dans les sous-sols de l’édifice. Dans des temps reculés, ceux
que j’avais soupçonnés d’être des barbares avaient décidé sans se tromper, de
donner le nom de Carla, issue du mot Karl (la force) à ce site si particulier.
Ils avaient choisi ce lieu en fonction d’un réseau invisible d’énergie. Mais
peut-être existait-il le côté obscur de la force…
Quelques semaines plus tôt, j’étais tombé sur une étrange statuette dans le cimetière du Carla. Elle se situait tout près d’une stèle protégée par un yucca agressif qui repoussait perpétuellement à chaque fois qu’on avait voulu le raser. La statuette, elle, représentait un personnage à la fois peiné et apeuré. Mais le soir même, en visionnant la photo avec mon équipe, une erreur d’affichage nous la présenta à l’envers. Elle révéla alors un tout autre trait : celui d’un diablotin qui, fendu d’un sourire sournois, semblait s’amuser de nous voir abasourdis par cette découverte ! Curieusement, ce ne fut pas la seule fois que je croisais sa route.
Pour notre ultime ballade, Raymond avait décidé de m’emmener sous le baldaquin grandiose de la cathédrale albigeoise. C’est exactement à cet endroit que j’avais pris furtivement un cliché, qui, éclairé par le faisceau de la ville, se révélait lui aussi particulièrement troublant. Nichée dans les entrelacs de la pierre blanche magnifiquement ciselée, une présence semblait veiller sur l’entrée de cette cathédrale. Et elle n’avait rien d’accueillant, bien au contraire, et ressemblait au maléfique Baphomet issu de la légendaire histoire de l’adoration des Templiers pour cette figure apocalyptique. Ce symbole deviendra l’emblème d’IN EMINENTI. Les erreurs bienheureuses commençaient à s’enchaîner, mon histoire prenait forme et je commençais à me demander si le mot « hasard » était bien adapté à la situation.
Le jour
où Raymond Montercy m’emmena sous le baldaquin, c’était la fin de notre chemin
ensemble. Il avait débarqué dans ma vie quelques mois plus tôt, sans rien
demander, avec la seule envie de me transmettre ce qu’il savait. Il n’était pas
question du « malin » ce jour-là, mais une fois de plus, des Celtes.
Au moment de quitter la cathédrale, de manière faussement hasardeuse, il
s’était tourné vers la place Sainte-Cécile et avait pointé son index en
direction d’un cercle frappé d’un symbole curieux. Je n’avais pas tout de
suite réagi. Et puis, en repensant à toute cette quête partagée avec lui, je
compris où il voulait en venir. Il me montrait un triskell.
La marque
des anciens, la marque des païens chère aux Bretons, cette part de l’Histoire
qu’on avait partiellement oubliée, avait perduré à travers les siècles grâce
aux compagnons bâtisseurs. Ce symbole n'avait rien à faire là, sur un édifice
voulu et conçu par des catholiques. L’invisible sacré était une signature,
l’héritage d’une civilisation oubliée, que ce soit au Carla, à la cathédrale
d’Albi ou partout où l’homme avait voulu sacraliser un lieu. Avec Raymond Montercy, nos chemins se séparaient et il était
temps pour moi d’honorer le trésor de connaissances qu’il m’avait transmis.
La boucle était bouclée, il me suffisait maintenant de savoir lire pour ensuite pouvoir écrire. Les mystères ne se trouvaient peut-être pas au bout du monde, mais tout près de moi. C'est ce que j'avais réalisé en m’éloignant de mon pays d'adoption et c'est ce qu'avait voulu nous dire Paulo Coelho dans "L'alchimiste". Le Carla avait eu sur moi une attraction très forte et ces hasards allaient bientôt mener vers un épilogue complètement inattendu. L’histoire était déjà écrite, je ne devais que la rendre plus visible.
Écrire est une épreuve, mais savoir que l'on doit être lu est un vrai supplice. C'est une mise à nu sans pudeur à laquelle je ne m'étais que peu préparé. J'avais rencontré mon premier lecteur à la terrasse d'un restaurant deux jours après la parution officielle. Il ne le savait pas. Je terminais mon dessert avec un de mes acolytes, lorsque son voisin était venu le saluer. C'était un vieux garçon un peu solitaire, pas très expressif, bavard juste ce qu'il fallait. Étonnamment ce soir-là, il semblait moins taciturne qu'à son habitude et s'était livré sur des interrogations au sujet d'un livre. Ce que j'ignorais, c'était qu'il parlait d' IN EMINENTI et il m'avait fallu plusieurs minutes pour comprendre. Il était à la fois bluffé et perplexe. « Comment tout cela pouvait-il être vrai? » De mon côté, j'étais resté silencieux, et pour tout vous dire, pétrifié à l'idée de me dévoiler. Je redoutais qu’il puisse conclure sans pitié par une diatribe qui m'aurait été fatale. Sur le point de me liquéfier, j’avais profité du passage du patron pour lui commander deux Armagnacs et avaler la pilule avec moins d'amertume. Finalement, ne pouvant plus résister à l'envie de savoir, j'expulsais avec véhémence la question restée coincée dans ma gorge tout au long de son monologue : "Mais vous avez aimé ce livre ou pas ?" lui demandais-je un peu agacé. Surpris par mon intervention imprévue, il s'était tourné vers moi en me fusillant du regard, un peu vexé que je le coupe dans son élan: "Oui j'ai adoré, je l'ai lu pratiquement d'un trait, pourquoi ?". Mon Armagnac arriva à point nommé et je l'avalais comme lui, d'un trait, avant de filer me cacher en prétextant un coup de fil important. Si un seul lecteur avait aimé, ça me suffisait. Mon premier roman est finalement sorti le jour de l’inauguration de cette magnifique restauration. L’aboutissement de deux années surréalistes. Pour moi c’était la fin d’une aventure, pour Casimir Ferrer une consécration et pour le Carla une renaissance.
Ce jour-là, c’était aussi sous une chaleur accablante que je signais maladroitement mes premières dédicaces. De ma table, je pouvais apercevoir l’entrée du long chemin qui menait jusqu’à l’église. J’étais profondément heureux, mais il restait une question à laquelle je n'avais pas pu répondre. Elle concernait ma dernière découverte, la plus importante. Pendant deux ans, j'avais mené ces enquêtes au-delà des secrets des hommes et de leurs cultes. Elles étaient factuelles, historiques, scientifiques, tout pouvait s’expliquer. Mais lorsque l’inexplicable frappa à ma porte, je me retrouvais tout à coup démuni. En novembre 1978, un évènement malheureux avait eu lieu au bout de ce chemin, que je gardais précieusement dans ma ligne de mire entre deux signatures.
Un homme y avait perdu la vie. Je ne savais pas grand-chose de cette histoire, tout s’était passé cinq ans avant que je vienne au monde. Cet homme plein de caractère avait la fâcheuse habitude de passer par les routes sinueuses et dangereuses de Castelnau-de-Lévis pour rejoindre la Nationale qui allait jusqu’à Toulouse. Malgré les injonctions de ses proches pour qu’il emprunte un itinéraire plus simple, il n’en démordait pas. Peut-être pour éviter de traverser la ville, peut-être parce qu’il aimait tout simplement cette route. Ce choix lui fut pourtant fatal. En tout état de cause, il était décédé là, dans ce paysage qui n'avait sûrement pas beaucoup changé en trente-deux ans et où je me disais, au plus profond de moi, que je l’apercevrais peut-être si mes dons de médium se révélaient soudainement. Vous l’aurez deviné, je n’avais aucun don et le miracle n’arriva jamais. Mais j’avais bel et bien une raison d’espérer. Il n’existait aucune archive ni aucun guide pour que je puisse comprendre ce qu'il s'était réellement passé ce jour-là. Et pourtant, quelqu’un réussit à me donner la réponse. C’est mon père.
Ce fameux
soir de décembre 2010, je venais de lui annoncer l’existence d’IN EMINENTI.
C’est ce même soir, à ma plus grande stupéfaction, qu’il se mit alors à me
raconter le tragique épisode qui s’était déroulé en ce jour de 1978, à
l’endroit que le hasard avait désigné pour que j’en fasse un roman. En
cherchant dans mes plus lointains souvenirs, jamais je n’en avais eu
connaissance. Je me rappelle avoir tenu fermement ce livre entre mes mains le
jour de la parution. Je me
demandais ce qui m’avait réellement emmené jusqu’ici. C’était comme un cadeau
tombé du ciel, comme si je n'en étais que le destinataire par erreur. Comment savoir si j'avais été digne de tous ces "coups
de pouce" et de ces coïncidences favorables? Et puis ma grand-mère arriva
à la table des dédicaces. Je la vois encore s’approcher d’un pas lent, mais
déterminé, pour venir embrasser son unique petit-fils. J'ai la certitude
qu’elle n’était jamais venue ici, mais elle connaissait pourtant le Carla plus
que quiconque. En ce jour si particulier, elle avait les yeux pétillants et le
visage éclairé d'un petit sourire qu'elle m’offrait toujours chaque fois
qu'elle me voyait. Elle aurait pu ne pas l'avoir en ce jour si particulier. Mais
elle avait le sourire. C’est lui qui parvint enfin à donner la réponse à ma
question. Je n'avais plus besoin d'essayer de
lorgner le bout de ce chemin à la recherche d'un miracle. Ce sourire était
l'aval qui me manquait.
Pour
réaliser mon rêve, les planètes s’étaient alignées naturellement, les
découvertes, les rencontres et les hasards avaient surgi sans que je n’eus
besoin d’aller les chercher depuis ce mois d’août 2003. À plusieurs reprises,
je m’étais éloigné, désintéressé, j'ai même plusieurs fois songé à abandonner
cette idée trop ambitieuse, mais une main ferme me ramenait systématiquement à
la raison, à ce lieu. C’était écrit dans tous les sens du terme. Cet homme,
décédé dans un accident de la route le 13 novembre 1978, avait vu son véhicule
s’échouer au bord du champ de maïs de Das Nieves, celui où tout avait commencé
pour moi. C'était certainement lui qui avait dès le départ, œuvré, attisé ma
curiosité pour cette énergie invisible, et tout fait pour que j'y reste... Ou
peut-être pas. Mais il y a bien un fait qui demeurera indiscutable. Cet homme
faisait partie de ma vie, j’étais de son sang et je portais le même nom que lui. Voilà le véritable mystère du Carla. Cet homme s’appelait Claude Rey. Cet
homme, c’était mon grand-père.