lundi 21 juin 2021

13 NOVEMBRE 1978: LE DERNIER MYSTERE DU CARLA

 

Dix ans d'anecdotes et d'évènements étranges à l'ombre du roman

EPISODE II


Imaginez qu’un jour, vous appreniez qu’un évènement qui a eu lieu des années avant votre naissance impacte directement les choix les plus importants de votre vie sans que vous puissiez les contrôler. Cela paraît évidemment impossible pour qui aurait un semblant de raison et pourtant, cette expérience, je l’ai vécue.


Je vais vous raconter une histoire qui n’est écrite nulle part, une histoire sans filtre dont le chapitre final nous mène vers la plus grande énigme de toute mon aventure. Pour la comprendre, je dois vous expliquer comment est né IN EMINENTI, une feuille blanche qui s’est transformée en une succession d’évènements inexplicables.

En décembre 2010, six mois avant la parution officielle du roman, le saut dans le monde infini de la fiction me plongea dans une réalité que je ne parviendrais jamais à expliquer. Des mystères, au Carla, vous en trouverez à chacun de vos pas, sur chacune des pierres que vous caresserez, mais il y en a UN qui est invisible à l’œil nu, le plus étrange de tous. Celui du 13 novembre 1978.


Statue archange St Michel (Casimir Ferrer) parvis du Carla

Tout commença au mois d’août 2003. À la recherche d’un emploi saisonnier, j’avais répondu sans trop d’entrain, à une annonce dans les champs de maïs de l’exploitant Das Nieves. Cet homme, infiniment vaillant, possédait une immense parcelle à Castelnau-de-Lévis, délimitée par un ruisseau qu'on appelait "Bigar". Dès le premier jour, déjà peu enthousiaste à l’idée de me lever à six heures du matin en pleine vacances scolaires, je savais que la journée n’allait pas être une partie de plaisir. Mon intuition allait vite se confirmer. Les présentations furent brèves et une fois mon allée attribuée, je me retrouvais expédié sans détour au milieu des interminables épis de verdure sous une canicule historique. C'était le début de la vraie vie, mais surtout celui d’une aventure remplie de surprises. Fini le confort et les rigolades du fond de classe, les séances de sophrologie en cours de maths. L'espoir n'était plus la sonnerie de la récréation, mais le bout de l'allée, celle qui arrivait juste avant qu’une autre se présente. Concrètement, on me demandait de castrer des tiges qu’on appelait panicules, sans que je n’aie eu le temps d'en comprendre le but. Dans ce tourbillon de dépit, sous une chaleur harassante, j’ai pourtant réussi à me raccrocher à un élément complètement inattendu : UNE ÉGLISE. De l’autre côté de ce fameux ruisseau, dissimulée derrière une barrière de verdure, se trouvait la chapelle du Carla, désignée ainsi par un vieux panneau rouillé, prêt à s’échouer dans un fossé.


Vue du champs Das Nieves

Je me souviens encore de l’attraction qu’elle dégageait, de cette sensation d’être constamment aspiré, attiré, comme je l’aurai été par la lueur d’un objet brillant se reflétant au loin. À chacun de mes pas, la force qu’elle exerçait me fit aisément oublier l’ennui et la chaleur accablante. Pourtant, à cette époque, je n’éprouvais aucun début d’attrait pour l’architecture, les symboles, ou pour tout ce qui concernait ces histoires de religion. J’étais ce qu’on pouvait appeler un « athée convaincu ». Mais chaque matin, dès que je devinais sa silhouette se dessiner sur mon chemin, je me promettais d’y faire un crochet avant de rentrer chez moi. Les jours se succédèrent et j’en arrivais rapidement à un constat que je ne m'expliquais pas moi-même : elle me fascinait ! Pourtant, après un mois dans les champs de Das Nieves, je me suis défilé sans honorer ma promesse. Lâchement, j’ai terminé ma mission et j'ai fui avec une impatiente indécence, pressé de retrouver mes centres d’intérêt: les copains, le rugby, les filles, les soirées étudiantes qui duraient trois jours. J'avais 20 ans. Je n’imaginais pas un instant que c'est elle qui reviendrait vers moi quelques années plus tard.


Les premières lignes des « Mystères du Carla » ont été écrites au mois de septembre 2009. À cette date, cela faisait exactement 800 ans que les troupes de Simon de Montfort avaient déferlé sur le site du Carla pour y détruire le village de Mazières. Mais tout cela, je ne le savais pas encore. Sur la route du lycée, je suis passé pendant quatre ans devant la cathédrale d’Albi sans jamais y jeter le moindre regard. Alors, comment vous dire, qu’entre Simon de Montfort et moi, ce n’était pas un fossé, mais un gouffre qui nous séparait. Ma passion s’était révélée en m’expatriant dans au-delà de la frontière du sud de la France (c’est-à-dire un peu au-delà du Cantal), dans ce pays où fourmille le stress, les gaz d'échappement, et où l’on s’efforce de demander un « pain au chocolat » pour éviter de se faire remarquer. C’est en région parisienne que la passion pour mon pays natal s'est révélée.


Premier prototype de couv avec le titre "Le silence des ombres"

IN EMINENTI est né à la terrasse d’un café albigeois devant une pinte de bière un soir de retour au bercail. C’était un titre puissant. Celui du livre que j’aurais voulu lire, celui d’une aventure qui se passerait dans les ruelles de mon enfance. Avant même que ne soit publiée l’enquête de mon héros Axel Clairvoix, la recherche historique dura deux ans. Je me souviens encore de cette éminente personnalité tarnaise qui m’avait conseillé d’abandonner le projet avant même de l’avoir débuté, convaincu que je ne dépasserais pas le cadre de la famille, des amis et dans le meilleur des cas, des cousins lointains les plus sympas. C’était exactement le genre de conseil qu’il fallait à mon égo pour le gonfler à bloc. La chance d’éditer me sourirait à coup sûr, à condition que je travaille sans relâche ! Et c’est exactement ce que j’ai fait. Mais il y avait un détail que je n’avais pas prévu : le retour de la chapelle du Carla.


Fresque cachée, découverte pendant la restauration

C’est là que le hasard commença à montrer le bout de son nez et me permit d’entamer mon ascension. Puisque la vie est une succession de hasards, parait-il, c’est lui qui m’offrit une première belle rencontre: Casimir Ferrer. À cette époque en effet, ce peintre sculpteur reconnu était sur le point d’entreprendre la restauration totale du site, par le biais d’une association qu’il venait de fonder. Abandonné à la ruine depuis près d’un demi-siècle, ce lieu réunissait tout à coup deux hommes qui ne se seraient jamais rencontrés dans d’autres circonstances. Ce phénomène porte un nom : la synchronicité. Pendant les travaux, les bénévoles y avaient découvert une fresque cachée, recouverte d’argile, au-dessus du vieil autel. Elle dissimulait deux personnages, un homme et une femme, visiblement des nobles. Casimir Ferrer voulait que l’on raconte une histoire à leur sujet. Ils allaient devenir Mathilde et Jacques de Mazières, héros survivant du dernier village existant au Carla et détruit pendant la fameuse croisade contre les cathares. Tout se mit en marche à partir de cet élément et mon imagination allait devenir incroyablement prolifique. Mon histoire débutait.

 


Mais qu’en était-il de la réalité ? Mazières n’avait pas vécu une seule destruction, mais plusieurs, à travers les siècles. Pourquoi une église et son cimetière demeuraient là, seuls, au milieu d’un immense pré ? La réponse, c’est un homme providentiel qui allait me les souffler, la rencontre qui a transformé mon champ de vision en une constellation de connaissances.

Raymond Montercy, référence indiscutable au CNRS, allait m’ouvrir les yeux sur un monde qui avait disparu de la surface du globe. C’était lui qui allait devenir mon guide. Je le rencontrais pour la première fois dans une brasserie de la Grande Armée, impressionné et décontenancé par le contraste entre sa réputation et la modestie avec laquelle il m’accueillait. Jamais de ma vie je n’avais rencontré un homme capable de transformer un labyrinthe en une échappée verte avec autant d’aisance. Avec lui, tout semblait limpide, accessible, chaque information était une pépite dissimulée dans un coffre doré. Raymond était un alchimiste. Il me raconta d’abord que les fondations de l’église actuelle étaient des données mesurées en décimales, mais si on les traduisait en pieds gaulois, elles donnaient des nombres entiers. C’étaient des Gallo-Romains qui avaient choisi ce lieu si mystérieux et plus exactement des Celtes. Il m’apprit également qu’un des contreforts à l’extérieur de l’édifice avait été élevé dans le seul but de signifier une référence solaire : parfaitement aligné au lever du soleil, chaque 22 novembre, jour de Sainte-Cécile.



Avant et après restauration, vue des contreforts
 

Raymond Montercy m’apprit à lire l’invisible et mes yeux s’illuminèrent quand j’ai compris que cet endroit dépassait la propre fiction de mon récit. Il y avait eu ici, ce quelque chose de spécial que la mémoire avait occulté. Un jour, après plusieurs semaines d’apprentissage, il se décida à élargir mon horizon. Raymond se mit à dérouler une carte du Tarn et, armé d’un feutre noir, il traça une ligne droite. Elle démarrait du Carla pour s’arrêter sur un point précis : la grande cathédrale d’Albi. Les deux édifices se situaient sur le même parallèle géographique et c’était une découverte aussi remarquable que volontaire.


Mais la coïncidence ne ça ne s'arrêtait pas là. Sur cette même ligne, figuraient en tout, cinq monuments tarnais, dont l’emplacement de l’ancien château de la puissante famille Trencavel. Non, l’église du Carla n’était pas élevée là par hasard. Le site avait été choisi au début de notre ère alors que la cité épiscopale n’existait pas encore, et ils furent liés à un moment précis de l'Histoire. L’une était devenue le chœur d’un puissant évêché, l’autre allait tomber dans l’oubli le plus total.


Personne, à part l’historien Jean Roques, qui l’avait qualifiée de « pittoresque », n’avait daigné s’intéresser à ce lieu. C’était méconnaître ce peuple celte, qui pendant des siècles, avait appliqué un adage qui fait encore partie de notre paysage aujourd’hui: sans eau, il n’y a pas de sacré; sans eau, pas de pierres levées, pas de menhirs, pas de temple non plus. Ce détail semblait infime, et pourtant il résumait un fait qui était sans doute à l’origine d’une grande partie de notre paysage rural : sans eau, il n’y avait pas d’église ! L’autel était bâti à l’emplacement de courants telluriques (électrique) puissants. Au Carla, ce sont six courants d’eau qui ont été détectés dans les sous-sols de l’édifice. Dans des temps reculés, ceux que j’avais soupçonnés d’être des barbares avaient décidé sans se tromper, de donner le nom de Carla, issue du mot Karl (la force) à ce site si particulier. Ils avaient choisi ce lieu en fonction d’un réseau invisible d’énergie. Mais peut-être existait-il le côté obscur de la force…

 

Statuette du diablotin

Quelques semaines plus tôt, j’étais tombé sur une étrange statuette dans le cimetière du Carla. Elle se situait tout près d’une stèle protégée par un yucca agressif qui repoussait perpétuellement à chaque fois qu’on avait voulu le raser. La statuette, elle, représentait un personnage à la fois peiné et apeuré. Mais le soir même, en visionnant la photo avec mon équipe, une erreur d’affichage nous la présenta à l’envers. Elle révéla alors un tout autre trait : celui d’un diablotin qui, fendu d’un sourire sournois, semblait s’amuser de nous voir abasourdis par cette découverte ! Curieusement, ce ne fut pas la seule fois que je croisais sa route. 


Stèle au yucca (la seule de tout le cimetière)

Pour notre ultime ballade, Raymond avait décidé de m’emmener sous le baldaquin grandiose de la cathédrale albigeoise. C’est exactement à cet endroit que j’avais pris furtivement un cliché, qui, éclairé par le faisceau de la ville, se révélait lui aussi particulièrement troublant. Nichée dans les entrelacs de la pierre blanche magnifiquement ciselée, une présence semblait veiller sur l’entrée de cette cathédrale. Et elle n’avait rien d’accueillant, bien au contraire, et ressemblait au maléfique Baphomet issu de la légendaire histoire de l’adoration des Templiers pour cette figure apocalyptique. Ce symbole deviendra l’emblème d’IN EMINENTI. Les erreurs bienheureuses commençaient à s’enchaîner, mon histoire prenait forme et je commençais à me demander si le mot « hasard » était bien adapté à la situation.

 

Visage sous le baldaquin de la cathédrale 
 

Le jour où Raymond Montercy m’emmena sous le baldaquin, c’était la fin de notre chemin ensemble. Il avait débarqué dans ma vie quelques mois plus tôt, sans rien demander, avec la seule envie de me transmettre ce qu’il savait. Il n’était pas question du « malin » ce jour-là, mais une fois de plus, des Celtes. Au moment de quitter la cathédrale, de manière faussement hasardeuse, il s’était tourné vers la place Sainte-Cécile et avait pointé son index en direction d’un cercle frappé d’un symbole curieux. Je n’avais pas tout de suite réagi. Et puis, en repensant à toute cette quête partagée avec lui, je compris où il voulait en venir. Il me montrait un triskell.


Triskel vu du baldaquin de la cathédrale

La marque des anciens, la marque des païens chère aux Bretons, cette part de l’Histoire qu’on avait partiellement oubliée, avait perduré à travers les siècles grâce aux compagnons bâtisseurs. Ce symbole n'avait rien à faire là, sur un édifice voulu et conçu par des catholiques. L’invisible sacré était une signature, l’héritage d’une civilisation oubliée, que ce soit au Carla, à la cathédrale d’Albi ou partout où l’homme avait voulu sacraliser un lieu. Avec Raymond Montercy, nos chemins se séparaient et il était temps pour moi d’honorer le trésor de connaissances qu’il m’avait transmis.


Extrait du passage de "l'inconnu", inspiré de mes entretiens avec R. Montercy

La boucle était bouclée, il me suffisait maintenant de savoir lire pour ensuite pouvoir écrire. Les mystères ne se trouvaient peut-être pas au bout du monde, mais tout près de moi. C'est ce que j'avais réalisé en m’éloignant de mon pays d'adoption et c'est ce qu'avait voulu nous dire Paulo Coelho dans "L'alchimiste". Le Carla avait eu sur moi une attraction très forte et ces hasards allaient bientôt mener vers un épilogue complètement inattendu. L’histoire était déjà écrite, je ne devais que la rendre plus visible.


Écrire est une épreuve, mais savoir que l'on doit être lu est un vrai supplice. C'est une mise à nu sans pudeur à laquelle je ne m'étais que peu préparé. J'avais rencontré mon premier lecteur à la terrasse d'un restaurant deux jours après la parution officielle. Il ne le savait pas. Je terminais mon dessert avec un de mes acolytes, lorsque son voisin était venu le saluer. C'était un vieux garçon un peu solitaire, pas très expressif, bavard juste ce qu'il fallait. Étonnamment ce soir-là, il semblait moins taciturne qu'à son habitude et s'était livré sur des interrogations au sujet d'un livre. Ce que j'ignorais, c'était qu'il parlait d' IN EMINENTI et il m'avait fallu plusieurs minutes pour comprendre. Il était à la fois bluffé et perplexe. « Comment tout cela pouvait-il être vrai? » De mon côté, j'étais resté silencieux, et pour tout vous dire, pétrifié à l'idée de me dévoiler. Je redoutais qu’il puisse conclure sans pitié par une diatribe qui m'aurait été fatale. Sur le point de me liquéfier, j’avais profité du passage du patron pour lui commander deux Armagnacs et avaler la pilule avec moins d'amertume. Finalement, ne pouvant plus résister à l'envie de savoir, j'expulsais avec véhémence la question restée coincée dans ma gorge tout au long de son monologue : "Mais vous avez aimé ce livre ou pas ?" lui demandais-je un peu agacé. Surpris par mon intervention imprévue, il s'était tourné vers moi en me fusillant du regard, un peu vexé que je le coupe dans son élan: "Oui j'ai adoré, je l'ai lu pratiquement d'un trait, pourquoi ?". Mon Armagnac arriva à point nommé et je l'avalais comme lui, d'un trait, avant de filer me cacher en prétextant un coup de fil important. Si un seul lecteur avait aimé, ça me suffisait. Mon premier roman est finalement sorti le jour de l’inauguration de cette magnifique restauration. L’aboutissement de deux années surréalistes. Pour moi c’était la fin d’une aventure, pour Casimir Ferrer une consécration et pour le Carla une renaissance. 


Remise du chèque à l'association six mois après la parution du roman

Ce jour-là, c’était aussi sous une chaleur accablante que je signais maladroitement mes premières dédicaces. De ma table, je pouvais apercevoir l’entrée du long chemin qui menait jusqu’à l’église. J’étais profondément heureux, mais il restait une question à laquelle je n'avais pas pu répondre. Elle concernait ma dernière découverte, la plus importante. Pendant deux ans, j'avais mené ces enquêtes au-delà des secrets des hommes et de leurs cultes. Elles étaient factuelles, historiques, scientifiques, tout pouvait s’expliquer. Mais lorsque l’inexplicable frappa à ma porte, je me retrouvais tout à coup démuni. En novembre 1978, un évènement malheureux avait eu lieu au bout de ce chemin, que je gardais précieusement dans ma ligne de mire entre deux signatures. 



Un homme y avait perdu la vie. Je ne savais pas grand-chose de cette histoire, tout s’était passé cinq ans avant que je vienne au monde. Cet homme plein de caractère avait la fâcheuse habitude de passer par les routes sinueuses et dangereuses de Castelnau-de-Lévis pour rejoindre la Nationale qui allait jusqu’à Toulouse. Malgré les injonctions de ses proches pour qu’il emprunte un itinéraire plus simple, il n’en démordait pas. Peut-être pour éviter de traverser la ville, peut-être parce qu’il aimait tout simplement cette route. Ce choix lui fut pourtant fatal. En tout état de cause, il était décédé là, dans ce paysage qui n'avait sûrement pas beaucoup changé en trente-deux ans et où je me disais, au plus profond de moi, que je l’apercevrais peut-être si mes dons de médium se révélaient soudainement. Vous l’aurez deviné, je n’avais aucun don et le miracle n’arriva jamais. Mais j’avais bel et bien une raison d’espérer. Il n’existait aucune archive ni aucun guide pour que je puisse comprendre ce qu'il s'était réellement passé ce jour-là. Et pourtant, quelqu’un réussit à me donner la réponse. C’est mon père. 


Ce fameux soir de décembre 2010, je venais de lui annoncer l’existence d’IN EMINENTI. C’est ce même soir, à ma plus grande stupéfaction, qu’il se mit alors à me raconter le tragique épisode qui s’était déroulé en ce jour de 1978, à l’endroit que le hasard avait désigné pour que j’en fasse un roman. En cherchant dans mes plus lointains souvenirs, jamais je n’en avais eu connaissance. Je me rappelle avoir tenu fermement ce livre entre mes mains le jour de la parution. Je me demandais ce qui m’avait réellement emmené jusqu’ici. C’était comme un cadeau tombé du ciel, comme si je n'en étais que le destinataire par erreur.  Comment savoir si j'avais été digne de tous ces "coups de pouce" et de ces coïncidences favorables? Et puis ma grand-mère arriva à la table des dédicaces. Je la vois encore s’approcher d’un pas lent, mais déterminé, pour venir embrasser son unique petit-fils. J'ai la certitude qu’elle n’était jamais venue ici, mais elle connaissait pourtant le Carla plus que quiconque. En ce jour si particulier, elle avait les yeux pétillants et le visage éclairé d'un petit sourire qu'elle m’offrait toujours chaque fois qu'elle me voyait. Elle aurait pu ne pas l'avoir en ce jour si particulier. Mais elle avait le sourire. C’est lui qui parvint enfin à donner la réponse à ma question. Je n'avais plus besoin d'essayer de lorgner le bout de ce chemin à la recherche d'un miracle. Ce sourire était l'aval qui me manquait.


Séance de dédicaces le jour de la sortie officielle

Pour réaliser mon rêve, les planètes s’étaient alignées naturellement, les découvertes, les rencontres et les hasards avaient surgi sans que je n’eus besoin d’aller les chercher depuis ce mois d’août 2003. À plusieurs reprises, je m’étais éloigné, désintéressé, j'ai même plusieurs fois songé à abandonner cette idée trop ambitieuse, mais une main ferme me ramenait systématiquement à la raison, à ce lieu. C’était écrit dans tous les sens du terme. Cet homme, décédé dans un accident de la route le 13 novembre 1978, avait vu son véhicule s’échouer au bord du champ de maïs de Das Nieves, celui où tout avait commencé pour moi. C'était certainement lui qui avait dès le départ, œuvré, attisé ma curiosité pour cette énergie invisible, et tout fait pour que j'y reste... Ou peut-être pas. Mais il y a bien un fait qui demeurera indiscutable. Cet homme faisait partie de ma vie, j’étais de son sang et je portais le même nom que lui. Voilà le véritable mystère du Carla. Cet homme s’appelait Claude Rey. Cet homme, c’était mon grand-père.