lundi 23 novembre 2020

LE MANOIR MAUDIT


Dix ans d'anecdotes et d'évènements étranges à l'ombre du roman 

Episode I
Le manoir maudit


Boleskine house en 2012

C’était à l’automne 2011. Au moment de me lancer dans l’écriture de mon deuxième roman LE PACTE DES CATHARES, j’étais en quête d’un personnage historique que je voulais à la fois sombre et fascinant. Je marchais sur les traces d’un homme qui, dans le milieu de l’ésotérisme, était réputé pour avoir repoussé les limites de la magie noire et fasciné toute une génération d’artistes. On racontait qu’il avait ouvert les rituels les plus maléfiques et défié le diable. Son nom : Aleister Crowley.

 

Aleister Crowley

Aussi curieux que cela puisse paraître, celui qui avait été surnommé par la presse « l’homme le plus malsain du monde » était un intellectuel éclairé, icône des Beatles pour leur pochette culte de Sgt Peppers. Jimmy page, le célèbre guitariste de Led Zeppelin, avait même acquis son manoir écossais dans les années 70, un lieu maudit qui portait le nom de Boleskine, où les légendes les plus sombres avaient été racontées. Je devais en savoir plus.

 

   
Jimmy Page aujourd'hui et devant Boleskine


Au moment de réserver mon billet pour Édimbourg, j’ignorais que ce n’était que le début d’une aventure bien plus chaotique que je ne l’imaginais. Et elle ne commença pas de la meilleure des manières. Pour des raisons diverses que je qualifierais de « surréalistes », je manquais ce premier vol, ça pouvait arriver après tout. Mais le lendemain, je ratais aussi le vol suivant et encore celui d’après... Trois vols en deux jours ! Les trois seuls de ma vie… Bien que peu superstitieux, je n’étais pas téméraire pour autant, donc je décidais de rentrer à Albi et de différer mon séjour. Le soir même, je me souviens avoir gardé un œil attentif aux informations, fébrile à l’idée d’apprendre qu’un avion s’était écrasé. Il n’en fut rien. Il y avait donc une autre raison à cette succession de contretemps. J’allais bientôt le découvrir...

 

Chateau d'Edimbourg

C’est donc six mois plus tard que je retentais ma chance avec ma compagne. L’arrivée à Édimbourg fut tardive en ce mois de mars 2012 et il nous restait encore quatre heures de périple pour atteindre le petit village de Foyers, dans le nord, froid et humide d’Écosse. Il faut s’imaginer les Highlands comme un no man’s land de collines abruptes qui touchent le ciel, saupoudré de châteaux aux légendes paranormales qui nourrissent parfaitement un décor énigmatique et nébuleux. La traversée du Loch Lomond fut plutôt paisible au départ, mais la ballade allait vite se transformer en périple. Une tempête de neige décida de se dresser sur notre chemin, en pleine vallée de Glencoe, sans réseau ni GPS, où notre seule compagnie fut celle des cerfs qui surgissaient sans prévenir sous les phares de notre voiture. 

 


Ce qui pouvait s’apparenter à une escapade à sensation forte se prolongea, un peu, puis beaucoup, pendant plus de cent kilomètres où plus nous avancions, plus l’inquiétude se dessinait grossièrement sur mon visage. Je pensais que nous n’arriverions pas, comme si tout était fait pour nous en empêcher ! «Tous les chemins mènent à Rome », parait-il. Cet adage ne pouvait pas être plus vrai que dans cette partie du monde. Là où nous nous trouvions, il n’existait pas d’autre route, pas d’itinéraire bis, pas de déviation. Il suffisait donc de suivre à l’aveuglette cette voie qui nous menait tout droit sur les traces de « l’homme le plus malsain du monde ». Il nous fallut presque six heures pour arriver finalement à destination.

 

 
Vallée de Glencoe

L’arrivée fut un soulagement. Après un accueil réconfortant de nos hôtes écossais et un repas chaud, je profitais en fin de soirée d’un canapé près de la cheminée pour déguster un véritable Whisky local. Le secret, c’était une lichette d’eau ajoutée qui faisait, soi-disant, toute la différence. Je profitais de l’occasion pour entreprendre le propriétaire sur les légendes du coin. Il commença alors à me raconter ses aventures de jeunesse à la recherche du monstre du Loch Ness, qui se trouvait à quelques centaines de mètres sous nos fenêtres. Parfois, le soir on pouvait entendre le monstre, me disait-il. Je l’écoutais sans l’interrompre, faisant semblant d’y croire. Et puis, je saisis la première opportunité qu'il m'offrit, quand il me demanda la raison de notre visite : Boleskine ! Je sentis comme un vent glacial traverser la pièce quand il se tourna vers son épouse et qu’il perdit son sourire naturel. Je compris très vite qu’ici, on ne parlait pas de ça. Ça, c’était tout ce qui touchait à Aleister Crowley et son manoir maudit, Boleskine House. Un dragon de mer titanesque n’effrayait personne et voilà qu’un homme qui pratiquait quelques rituels magiques faisait trembler cette région connue pour compter les hommes les plus rugueux et les plus courageux du monde. Étrange... Donc, même si « on n’en parlait pas », je n’avais pas fait tous ces kilomètres pour repartir bredouille.

 

Sur les hauteurs du Loch Ness

Le lendemain, sans perdre espoir, je décidais donc d’opter pour une autre stratégie. Je savais qu’il était impossible de visiter le manoir. Il était surveillé par un curieux personnage, un extravagant frappé par le houblon au regard fou, qui vivait là, devant le portail d’entrée en fer forgé, dans une cabane de fortune, 365 jours dans l’année. Mais ce que j’avais appris entre temps, c’est qu’en contrebas du manoir, se trouvait le cimetière du clan Fraser, celui-là même qui dominait les Highlands depuis plus de huit siècles. J’optais donc pour l’enquête « historique ». Dans un village écossais, pour rencontrer les gens, rien de mieux que de s’adresser au salon de thé, qui servait aussi d’épicerie et de pub la nuit tombée. Les environs étaient totalement déserts en ce dimanche, mais une fois la porte du bâtiment franchie, nous réalisions que tous les habitants étaient réunis là pour s’y retrouver, danser et partager un moment de convivialité.

 

Héraldique et couleurs du clan Fraser of Lovat

Poliment accueilli, je m’adressais à un responsable, en me présentant comme romancier historique. Sans que j'aie le temps de conclure, il me demanda de patienter et me laissa planté, seul face à mon désespoir et mon appréhension de heurter à nouveau la sensibilité de la petite bourgade. À tout moment j’envisageais la possibilité de me faire renvoyer à coups de cornemuses dans les fesses. Mais après quelques minutes, une petite dame d’une soixantaine d’années s’approcha de moi et me tendit la main : « Bonjour, je suis Lauren Fraser ». Je crois qu’elle avait pu deviner ma stupeur quand elle se présenta devant moi. 

 

Série Outlander, inspirée l'histoire du clan Fraser


Je cherchais des informations sur un clan qui avait combattu aux côtés de William Wallace contre les Anglais, et voilà que je me retrouvais face à une des principales figures de cette famille qui comptait aujourd’hui plus de 50 000 descendants à travers le monde. Elle avait un regard direct, franc, sans que pour autant, cela altère la douceur de ses traits. Elle m’inspirait confiance. Je lui expliquais alors ma démarche et elle nous invitait à prendre le thé dans l’arrière-salle où se trouvait le reste des habitants. Notre conversation dura presque une heure, digne d’un épisode d’Outlander, puis peu à peu, je glissais prudemment vers le cas « Boleskine ». 



Je reçus la réponse d’une femme de caractère, mais sans filtre. « Les gens n’aiment pas qu’on aborde le sujet ici, ça leur rappelle de mauvais souvenirs et trop d’illuminés et de satanistes vouent un culte à ce manoir ». Même Jimmy Page, tout guitariste planétaire qu’il était, n’avait pas laissé un souvenir impérissable à Foyers. Il avait acheté le manoir en 1971 et n’avait finalement osé y séjourner que trois ou quatre fois en vingt ans. Une confiance mutuelle s'installa définitivement entre nous, inexplicable, peut-être due à sa nostalgie de la branche française de la famille qui remontait à la Renaissance. On ne parlait pas tout à fait la même langue, mais on se comprenait. Nous allions finalement nous quitter. J’avais eu tout ce que je pouvais espérer. Et puis, une proposition inattendue se présenta. Au moment de partir, elle s’approcha de moi, regardant discrètement à la table d’à côté, puis elle me chuchota : « Vous voulez y aller ? ». Avec mon anglais chancelant, je fis comme si je ne comprenais pas la question, tellement elle était surprenante. « À Boleskine, vous voulez y aller » ? Oui, bien sûr, comment refuser une telle opportunité ? Elle posa son index sur sa bouche puis me donna les consignes. Nous devions la retrouver une heure plus tard avec son mari, devant la maison et nous faire passer pour de futurs acquéreurs auprès du gardien. Boleskine était en vente depuis quelques années, et ils allaient nous faire la visite.



Cimetière de Boleskine bordant le Loch Ness


Rien n’avait été prévu, il allait falloir improviser. Et le premier outil d’impro, c’était l’appareil photo. Nos téléphones portables n’avaient encore qu’une qualité médiocre à cette époque, nous n’avions pas jugé utile de les emporter avec nous et j’allais le regretter. La batterie était chargée à bloc, mais je m’assurais quand même de l’alimenter à nouveau pendant l’heure interminable. Sur internet, les images de l’intérieur du manoir étaient assez rares et je ne compris pourquoi que plus tard. Lauren et son mari arrivèrent au rendez-vous et tout se passa comme prévu. Le fameux gardien, cheveux en bataille, robe de chambre et pantoufles aux pieds,  nous reluqua comme s'il avait vu clair dans notre jeu. Il n'avait pas son mot à dire heureusement. En pénétrant dans la bâtisse par la cour arrière, je devais m’efforcer de faire abstraction de tout ce que j’avais entendu jusque-là. Les rituels maléfiques, les têtes décapitées qui roulaient au sol, le souvenir d’une famille entière calcinée dans l’église qui existait autrefois au même endroit, tout, même les orgies et les sacrifices de Crowley. Un des derniers résidents officiels, Malcom Dent, ami de Page et septique assumé, avait avoué avoir vécu là-bas, « la nuit la plus terrifiante de sa vie », entre grognements de couloirs, mobiliers déplacés, portes ouvertes sans raison… Tout ce qu’il y avait de pire et de plus négatif s’était déroulé ici. Cartésien, il fallait que je m'accroche et que je découvre pourquoi ce lieu générait autant de passions et de craintes depuis plus d’un siècle.

 

Photo prise avant la première anomalie


Et pourtant, dès le début, ce couloir interminable aux couleurs du clan avait de quoi faire frissonner. L’intérieur était richement décoré, orné d’armures et de tableaux d’ancêtres, d’épées et de reliques en tout genre. Mais cette belle impression visuelle n’était qu’un leurre. Il n'y avait aucun fantôme, aucun esprit démoniaque à portée de vue. Mais une fois entré dans cette maison, je n’avais qu’une seule envie : c’était d’en sortir. Je décidais alors de ne pas perdre un instant et de prendre mon appareil pour mitrailler chaque recoin. Mais dès la première photo, il s’éteignit, sans aucune raison. Sans en faire cas, je le rallumais, comme un réflexe. Je prenais un nouveau cliché et il me lâcha une seconde fois. Je me tournais vers ma compagne pour chercher un semblant d’explication, mais il n’y en avait pas. Même légèrement déchargé, un appareil « dernière génération » n’avait pas la capacité d’une seule photo en 2012. C'était incompréhensible. Agacé, je le rallumais une troisième fois. Maintenant, l’icône de la batterie clignotait rouge : ce n’était plus qu’une question de secondes. J'abdiquais et l’essentiel de mes souvenirs allait devoir se réduire à ma mémoire visuelle. Peu importe, nous restâmes une demi-heure ou je m’imprégnais de chaque détail pour construire mon récit, celui qui allait devenir le chapitre 9 du Pacte des cathares. Finalement, Lauren nous raccompagna chaleureusement en nous racontant quelques dernières histoires croustillantes sur cette famille incroyable. En partant, je savais déjà ce que j’allais pouvoir écrire sur ce lieu.


Deuxième photo aux couleurs du clan

J’ignore toujours pour quelle raison Lauren Fraser m’a accordé sa confiance et si elle croyait aux histoires de Boleskine. Pour elle, c’était l’héritage d’un aïeul sur lequel elle devait veiller tout simplement. Je suis convaincu que je ne l’aurais pas rencontrée six mois plus tôt, si je n’avais pas manqué ces fichus avions. De retour en France, j’ai commencé à écrire ce chapitre, celui d’une visite de nuit de mes trois héros à l’intérieur de Boleskine et d’une course poursuite endiablée sur la route bordant le Loch Ness. J’envisageais d’y retourner ensuite pour boucler les derniers détails, deux appareils photo en poche cette fois ! J’avais trouvé mon personnage et un lieu parfait pour mon intrigue. Je n'allais jamais y revenir. Dans mon idée originelle, j’avais imaginé qu’un incendie ruinerait le manoir pour effacer les preuves recherchées par mon héros. J’avais finalement renoncé à cette version, puisqu’elle ne correspondait pas à la réalité. Et pourtant, cette funeste idée de fiction devint une triste réalité. Le 23 décembre 2015, Boleskine House fut ravagé par les flammes et la bâtisse construite en 1760 par Archilbald Fraser, réduite en cendre. On n’en connaît toujours pas la cause à ce jour. Le manoir maudit venait d’écrire la propre conclusion de son histoire. Il ne restait que la mienne à imaginer. Celle d’un monstre au bord du Loch Ness, celle d’un lieu maudit, d’un lieu qui n’existait plus désormais…


                                                                           Incendie du 23 décembre 2015                                                            

En quittant le sol écossais, une question restait néanmoins en suspend et ça m’obsédait. Quelques minutes après avoir quitté Lauren, j’avais voulu profiter une dernière fois de l’instant. Le soleil avait commencé à décliner et un panorama fabuleux du Loch était apparu sous mes yeux. Je saisissais machinalement mon appareil photo et j’immortalisais le moment. En regardant mon petit écran numérique, je savourais. Le cliché était parfaitement réussi. Puis un frisson me tétanisa. Croyez-le ou non, mais le voyant de la batterie était revenu à sa charge optimale. J’avais beau enchaîner les photos, tout fonctionna à merveille pour le restant du séjour. Frustré, je me retournais alors instinctivement pour vider ma rancune et lancer un regard noir à ce manoir plein d’orgueil, dressé un peu plus loin au-dessus de moi. Il m’avait à la fois offert un moment rare, et repris ce qu’il lui appartenait. C’était sa volonté, ou celle de quelqu’un d’autre, qui sait… Il se passait bien des choses à Boleskine qui ne se passaient pas ailleurs. C’était le début de mon enquête, c’était le début d’une aventure qui n’allait pas s’arrêter là...